Stéphane Hessel fait bouillir les bons sentiments

Avez-vous lu Indignez-vous ! du résistant Stéphane Hessel ? En ce qui me concerne, c'est chose faite. Et le contenu de ce court manifeste m'a indigné, en effet.

Comment diable est-il possible d'être plus naïf et niais que ne l'est ce texte ? L'avis émis par l'auteur est constamment manichéen et unilatéral. A commencer par sa vocation passéiste qu'étale Stéphane Hessel, du haut de ses 93 ans. La caricature dirait : « C'était mieux avant ». L'aujourd'hui, forcément noir et atroce, est constamment mis en parallèle avec une époque soi-disant bénie de l'indignation citoyenne qui se situerait aux alentours de 1945. Il est vrai que du temps de la Résistance, dont l'auteur a fait partie (et c'est tout à son honneur), on savait y faire. Une véritable « résurrection » d'après guerre. La démocratie, la Sécurite Sociale, l'éducation nationale.... « c'est nous » (les résistants), semble-t-il suggérer, et la démolition de ces acquis sociaux est le fruit de tout ce qui a pu avoir lieu après cette époque. Quoi de positif dans le présent ? Pas grand chose, à en croire l'auteur. Seuls prévalent un Etat qui se désengage, « la dictature internationale des marchés financiers », le terrorisme, etc. Un brin alarmiste, le père Hessel.

Sans oublier le fossé entre les jeunes et les anciens dans lequel s'engouffre le texte. Si Hessel ne tombe pas dans le piège démagogique d'un « j'ai été jeune moi aussi, je sais ce que vous, les jeunes, endurez », il se taille quand même tout seul un costume de donneur de leçons patenté et pas tentant non plus : « Dans ce monde, il y a des choses insupportables. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. » Pourquoi ce travail incomberait-il aux « jeunes » ? Et puis qu'est-ce qu'un jeune ? Une personne de moins de 90 ans ? Sans même donner l'impression de s'en rendre compte, l'auteur jette de l'huile sur le feu d'un conflit intergénérationnel omniprésent.

L'inutilité de ces conseils prodigués par l'auteur atteint son apothéose avec la conclusion de l'ouvrage : « A ceux et celles qui feront le XXIe siècle, nous disons avec notre affection : "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer". » Quoi de plus navrant qu'une phrase proverbeuse basée sur un dualisme qui sonne creux pour achever un ouvrage qui à aucun moment n'est entré en profondeur dans son propos ?

Stéphane Hessel dit également soutenir ces jeunes auxquels il ordonne de s'indigner. Un soutien qui souffre d'un manque de crédibilité lorsque le résistant jette dès les premières pages que « nous aurions refusé de cautionner [la société actuelle] si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance ». La mise en perspective de l'année 1944 à travers la société telle qu'il la voit en 2010 est nécessairement faussée – les deux situations sont-elles comparables ? – et tombe dans une nostalgie insupportable. Et, bon Dieu, qu'avons-nous fait de l'héritage que nous a légué la Résistance ? Eh bien, je vous pose la question. Mais, surtout, je vous demande qui est ce « nous » ? Les politiciens qui se sont succédés à la tête de l'Etat et qui possèdent le pouvoir exécutif, ou le citoyen lambda ? La prévalence de la responsabilité individuelle, comme elle est opérée dans Indignez-vous !, ne tient pas debout. L'ossature de l'agenda politique, qui détermine les actions menées par le gouvernement et les points sur lesquels le Parlement légifère, n'est pas décidée par « Monsieur tout le monde ». De surcroît, cet agenda politique ne mène pas nécessairement à de mauvaises choses. L'abolition de la peine de mort, le droit de vote à 18 ans au lieu de 21, le droit à l'avortement sont des exemples d'avancées qui sont de véritables acquis sociaux et dont la remise en cause est marginale, voire inexistante.

Pour finir, un mot sur les personnages évoqués dans Indignez-vous ! Pêle-mêle, on retrouve Jean Moulin, Charles de Gaulle, Pierre Mendès France, Guillaume Apollinaire, Mandela, Martin Luther King, Jean-Paul Sartre, Hegel, Walter Benjamin... Stéphane Hessel aligne les poncifs : C'est à Jean Moulin que nous devons tout, Apollinaire était un poète magnifiqiue, De Gaulle a été le sauveur de la France, PMF était un type bien, comme Mandela et MLK d'ailleurs, sans oublier le talentueux philospohe Hegel, et Walter Benjamin qui a traduit en allemand A la Recherche du temps perdu de Proust. L'auteur semble avoir cédé à la tentation d'écrire un ouvrage d'histoire et de culture générale pour les nuls.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire